#médecinchiffonsferraille

Médecin, chiffons, ferraille, peaux de lapin. 

«  Je vous parle d’un temps

Que les moins de vingt ans

Ne peuvent pas connaître  » (1)

Exercer la médecine, en ce temps-là, était considéré comme un art et constituait pour le commun des mortels « le plus beau métier du monde ». Les médecins soignaient les malades dans des cabinets médicaux, des cliniques privées ou à l’hôpital public. Malheureusement, victime de l’imprévoyance des politiques mises en œuvre pendant plus d’un demi-siècle, notre système de santé, jadis envié par la plupart des pays, se montra défaillant ; l’émergence d’un nouveau coronavirus provoqua une épidémie gravissime qui acheva sa mise à mal. Lorsque la pénurie de médecins devint critique pour la santé de la population et avant que des révoltes n’éclatassent, le roi et ses ministres eurent une idée qui leur parut prodigieuse : créer des « médicobus ». Dans l’esprit de ces énarques, la sémantique avait son importance et, en ce domaine, bien que l’idée ne semblât pas franchement nouvelle, il fallait bien reconnaître qu’ils excellaient. Ils recyclaient l’expérience des bibliobus et des cinébus ; il fut même envisagé une campagne publicitaire de promotion avec un tarif unique pour « une consult, un film, un livre » qui ne vit jamais le jour. 

La société, à cette époque, traversait des turbulences si vous me permettez cet euphémisme. Nous connaissions des difficultés majeures ; les conflits sociaux proliféraient et dégénéraient en guérillas urbaines en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Sur les réseaux sociaux pullulaient des scènes apocalyptiques d’émeutes, de violences et d’incendies que les chaînes d’infos en continu relayaient à loisir. L’on brûlait des mairies, des écoles, des centres des impôts, des préfectures ; les boutiques de luxe, de matériel high-tech et de vêtements subissaient le même sort avant d’être mises à sac ; les distributeurs de billets étaient défoncés par des voitures-béliers avant d’être pillés et incendiés. Les forces de l’ordre, considérées comme la garde prétorienne du Pouvoir, focalisaient toute la haine des jeunes de banlieues, les moins-que-rien, les sans-rien et les laissés-pour-compte. Défiance et hostilité vis-à-vis de l’exécutif gagnaient en influence tandis que les invectives verbales et physiques à l’égard des élus se multipliaient. Au sujet de ces insurrections, jacqueries des temps modernes, tous les observateurs s’accordaient pour souligner les divisions profondes de la société et l’incapacité des gouvernements successifs à y remédier. Certains de leurs membres tenaient envers le bas peuple des paroles pour le moins inappropriées, humiliantes et méprisantes. Ce qui attisait les conflits. Le montant de la dette publique atteignait des records et, hormis augmenter la dîme et la gabelle, ils ne semblaient guère enclins à promouvoir de réelles solutions innovantes qui pussent inverser la tendance. 

Dans ce climat social dégradé, les injustices en matière d’accès aux soins s’accentuèrent et vinrent alimenter un mécontentement ambiant déjà conséquent. Se faire soigner s’avéra de plus en plus compliqué au point que la santé devint un enjeu majeur. Nombreux étaient ceux qui n’avaient plus de médecin traitant et, pour les plus chanceux, les délais de rendez-vous s’allongeaient démesurément. Afin d’apaiser les tensions, les élites s’évertuaient à montrer à la plèbe qu’ils prenaient leurs difficultés en considération. Cependant, loin de s’interroger sur les défaillances structurelles d’un système de santé à l’agonie, ils se contentaient de le rafistoler en y collant des rustines. 

Les cabines de téléconsultations peinaient à convaincre de leur pertinence ; l’insatisfaction des usagers entraînait leur désaffection progressive. Les patients continuaient à préférer le colloque singulier, en face à face, les yeux dans les yeux, plutôt que des consultations virtuelles par écrans interposés. Ce qui, somme toute, s’avérait rassurant. 

Dans le même temps, les médecins subissaient, de la part de la royauté et de ses ministres, un pareil mépris. On leur imposait toujours plus de contraintes tandis que leurs honoraires stagnaient depuis des lustres et engendraient une paupérisation de la profession. L’envie de courir de ville en ville et de village en village pour soigner les indigents séduisit quelques médecins tentés par le côté bucolique de l’aventure. Histoire d’arrondir leurs fins de mois, certains, écœurés par l’attitude des instances sanitaires à leur égard, mais aussi écolos dans l’âme, eurent également une idée de génie ; celle d’adjoindre aux « médicobus », une « carriole » pour acheter toutes sortes d’objets usagés afin de les revendre à diverses enseignes spécialisées dans la transformation. Les sociologues conquis par ce nouveau concept estimèrent que ces « médecins-chiffonniers » des temps modernes étaient promis à un rôle novateur pour pallier les déserts médicaux et œuvrer dans le recyclage en vue d’atteindre le zéro déchet. Cela s’appelait : « Faire d’une pierre deux coups ». 

Oyez, oyez, braves gens, damoiselles et damoiseaux ! Dès lors, dans les campagnes, l’on demeura à l’affût du tintement de la cloche suivi de l’expression consacrée : « médecin, chiffons, ferraille, peaux de lapin ! »

I’m a poor lonesome doctor…

 

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 (1) Charles Aznavour, La bohème, 1965.

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