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La lecture, grande cause nationale

C’est le Printemps des poètes jusqu’au 25 mars. Il y a eu Les nuits de la lecture en janvier, Le quart d’heure de lecture national le 12 mars, et le Festival du livre de Paris a lieu du 12 au 14 avril au Grand Palais Éphémère… Le livre et la création littéraire bénéficient d’un fort soutien des collectivités. Et alors ?


Chaque année en France, combien de salons du livre se tiennent ? Combien de prix littéraires sont décernés ? Combien de manifestations sont proposées au grand public pour susciter son intérêt et promouvoir l’œuvre écrite ? Combien de programmes ou de résidences d’artistes accueillent des auteurs afin de les accompagner dans leurs projets d’écriture ? 

La France est un pays qui aime le livre et la littérature. Et le fait savoir. Chaque jour dans les médias, un livre ou un évènement autour du livre est évoqué. Tout en faisant tout pour qu’on ne le sache pas (on est en France, tout de même, quand même) : nulle part il n’existe un recensement formel de toutes les actions organisées pour la promotion du livre, on ne sait pas précisément le nombre d’éditeurs qui publient des livres, les chiffres présentés chaque année se fondent sur les quantités extrapolées à partir des années précédentes, etc. 


Pour autant, les organisations ne manquent pas pour tenir dans un bon cadre tout ce petit monde (ingérable, on est en France, personne n’est d’accord avec personne). Je vous présente les plus connues, dans l’ordre alphabétique : la Charte, le CNL, la FILL, la SACD, la SCAM, la SCELF, la SGDL, le SNE, sans compter toutes les structures locales, départementales, régionales… Au fond, tout ça démontre surtout le beau dynamisme de l’intérêt que provoque le livre, grâce à des budgets non négligeables débloqués ici et là par les collectivités. Ce qui engendre un nombre invraisemblable d’actions pour favoriser la création et la prolifération de parutions, réjouissons-nous. Après avoir cherché (un peu trop) longuement sur internet, il existe en France (métropole) plus de 130 salons du livre, environ 60 résidences d’artistes (chiffres de 2010 !), près de 2 000 prix littéraires (je vous recommande la page du site de l’Académie française qui présente tous les concours gérés par l’institution)… Bien sûr, vous aurez remarqué que tous ces chiffres sont approximatifs. Et on ne sait même pas trop d’où certains d’entre eux peuvent sortir…


D’autres initiatives privées existent, évidemment. Nous avons tous déjà repéré ici ou là des boîtes à livres implantées dans d’anciennes cabines téléphoniques ou entièrement fabriquées et installées dans des lieux à forte fréquentation, des exemplaires déposés sur un banc ou laissés sur un siège dans les transports en commun. Des dizaines d’associations se sont créées pour faire la lecture partout où elle est attendue (les écoles, les maisons de retraite, les hôpitaux, les prisons), et nous nous souvenons tous de l’appel déterminé d’Alexandre Jardin quand il a créé Lire et faire lire (en 1999, déjà !). McDo, en 2015, a lancé le programme « Un livre ou un jouet » et annonce en 2024 avoir ainsi atteint 125 millions de livres distribués. C’est McDo, oui, la lecture n’est pas un attribut de classe, et, surtout, les enfants ont pour le livre un appétit qu’adultes, comme nous, ils auront sans doute perdu en route… Plus récemment, l’application Gleeph (drôle de nom, quand même) promeut les liens entre les personnes qui lisent pour qu’elles étendent ce plaisir unique de découvrir et de faire découvrir une lecture qui a changé leur existence. 


Maintenant, personne ne doute de l’intérêt de toutes ces activités, et on pourrait aussi croire que cette formidable floraison d’initiatives, un peu coûteuse quand même, cache malgré tout une certaine dégradation (depuis longtemps, donc) de l’attrait pour cet objet culturel magique qu’est le livre. Ce n’est pas pour rien qu’en 2021 et 2022 la lecture a été déclarée « grande cause nationale », au même titre que le cancer (1980 et 1981), la prévention routière (2000), la maladie d’Alzheimer (2007), les violences faites au femmes (2018)… Pour en arriver là, c’est que la situation n’est pas brillante. La lecture se casse bien la figure en France. Nous avons de plus en plus de mal à lire. Et tous ces événements autour du livre sont évidemment nécessaires. Mais sont-ils suffisants ?


Lire prend du temps, et du temps, nous en avons tellement ! Mais il est éparpillé « façon puzzle » par tout ce qui répond d’abord à notre satisfaction immédiate. Notre époque nous emprisonne chaque minute dans mille activités cérébrales, plus ou moins indispensables : réagir aux sollicitations, être au courant de ce qui se passe pour ne pas être dépassé, sans pour autant savoir quoi que ce soit de précis (ou de sûr), répondre aux appels et aux messages, faire son boulot, penser aux courses, limiter cette insupportable charge mentale, etc. Jamais l’humanité n’a été autant soumise aux impératifs de son temps, désormais mondialisé, monétisé, instantané, pulvérisé.

Alors que la lecture, au contraire, se limite à une seule chose : lire. Phrase après phrase, page après page, suivre le récit ou la pensée jusqu’à son terme, recréer en imagination dans son cerveau chaque situation ou chaque raisonnement et, une fois le livre refermé, peu importe le temps passé, se dire qu’en effet, la vie n’est plus tout à fait pareille. Quelle magie ! Quelle richesse !


Alors qu’est-ce qui pourrait faire que tout le monde lise de plus en plus ?

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