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Gaz à tous les étages

Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie devait permettre un débat apaisé sur ce sujet sociétal d’importance, qu’en est-il précisément  ? Sachant que « 78 % des Français attendent un changement de la loi en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté » (1) et, tandis que la réforme des retraites rencontre une hostilité majeure, quelle urgence pouvait motiver Emmanuel Macron à vouloir absolument changer la loi sur la fin de vie  ? L’on est tenté de penser qu’il s’agit d’un simple écran de fumée, une manœuvre de diversion  ? 

Nul n’ignore que l’offre en matière de soins palliatifs en France est hétérogène et surtout nettement insuffisante. Le nombre de lits de soins palliatifs dans des services dédiés se chiffre à un peu moins de 1800. Par ailleurs, pour pallier cette situation, des lits identifiés soins palliatifs (LISP) — 5618 recensés en 2020 — ont été définis dans la circulaire du 8 mars 2008. Ils se situent dans des services qui sont confrontés à des fins de vie ou des décès fréquents, mais dont l’activité n’est pas exclusivement consacrée aux soins palliatifs, les soins étant prodigués par les mêmes équipes ayant pris en charge les soins curatifs, dans un souci de proximité et de continuité de la prise en charge. Les services concernés sont essentiellement composés des services de Médecine, Chirurgie, Obstétrique (MCO) et de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR). La circulaire n’est toutefois pas contraignante, ce qui explique la diversité des applications dans les établissements (2). En raison d’un personnel non formé et surtout en nombre nettement insuffisant, ces services ne dispensent pas de soins palliatifs à proprement parler. Le prix de journée par contre s’avère être quasiment le même pour la collectivité. Autrement dit, être en fin de vie dans un lit identifié soins palliatifs (LISP), c’est comme être attablé dans un restaurant étoilé qui servirait un menu McDonald’s…

Avant même de découvrir les conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie, il est acté que l’on s’oriente d’ores et déjà vers une modification de la loi avec une légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide médicalement assisté. La formulation de la question ne laissait guère de doute : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Le Roi en a décidé ainsi et les ministres qui « encadrent » les travaux de cette convention s’y emploient. Un débat de dupes, même si des voix commencent à s’élever dénonçant une certaine forme d’instrumentalisation, une manière de gouverner que ce soit dans le cadre du projet de loi sur la réforme des retraites ou des négociations conventionnelles entre l’Assurance maladie et les syndicats médicaux. 

 

Gaz à tous les étages

 

La lecture du « bilan de l’euthanasie aux Pays-Bas : de 2001 à 2020 » (3) est édifiante. Ainsi l’on découvre que « si les conditions strictes établies par la loi n’ont pas évolué stricto sensu, leur interprétation très extensive donne lieu en effet à des situations de plus en plus discutables : euthanasie de personnes atteintes de troubles psychiatriques, de personnes démentes, de personnes très âgées ou encore de personnes souffrant de plusieurs pathologies, mais ne respectant pas les conditions initiales requises par la loi. D’autres voix se font entendre, et notamment de la part de certains médecins regrettant une banalisation de l’euthanasie. » D’autre part, en décembre 2009, Madame Els Borst, ministre de la Santé des Pays-Bas en 2001, responsable de la loi légalisant l’euthanasie, s’est confiée dans un ouvrage d’entretiens avec Anne-Mei The, anthropologue et juriste : pour elle, la légalisation de l’euthanasie est intervenue « beaucoup trop tôt ». Elle pense que les pouvoirs publics n’ont pas prêté l’attention nécessaire aux soins palliatifs et à l’accompagnement des mourants. « Aux Pays-Bas, nous avons d’abord écouté la demande politique et sociétale en faveur de l’euthanasie. Évidemment, ce n’était pas dans le bon ordre. » En France, seuls 30 % des patients nécessitant des soins palliatifs y ont réellement accès. Ne risque-t-on pas, en cas de légalisation de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté, d’être confronté à la même problématique ? 

Dans une tribune publiée dans le Monde, le 1er décembre 2022, Theo Boer, ancien contrôleur des cas d’euthanasie aux Pays-Bas, s’inquiète de l’évolution de la loi dans son pays et met en garde les Français. Ainsi, explique-t-il, « Après une période initiale de stabilisation, nous avons assisté à une augmentation spectaculaire du nombre d’euthanasies, qui sont passées de 2 000, en 2002, à 7 800, en 2021, avec une augmentation continue en 2022. Dans certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15 % des décès résultent d’une mort administrée. Le directeur sortant du Centre d’expertise sur l’euthanasie — qui fournit une aide à mourir à plus de 1 000 patients par an — s’attend à ce que le nombre d’euthanasies double, à brève échéance. » (4)

Une petite ville dans l’Est de la France, aux confins de la Belgique et du Luxembourg, où la seule offre de soins se limite à l’hôpital local, un établissement du Groupe SOS Santé dont le président du directoire n’est autre que Jean-Marc Borello (5), le très influent et controversé délégué général adjoint chargé de l’engagement citoyen du parti présidentiel « Renaissance ». Dans cette structure, il n’existe pas d’unité de soins palliatifs, mais seulement des lits identifiés soins palliatifs, pas d’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) ou réduite à sa portion congrue et qui n’intervient qu’en intrahospitalier. C’est dire qu’en cas d’évolution de la loi sur la fin de vie, les patients auront le choix entre l’euthanasie et l’euthanasie. « La barque silencieuse » (https://labarquesilencieuse.com), une association qui milite pour la création d’une maison de soins palliatifs, organise le 3 mars 2023, une soirée ciné-débat en marge de la convention citoyenne sur la fin de vie. Après la projection du film « Les équilibristes » réalisé par Perrine Michel, qui montre l’importance des soins palliatifs en fin de vie, débute un débat ; il est animé par Pascale Favre, médecin, diplômée d’un DEA de droit de la santé, doctorante en philosophie et autrice en 2020 d’un mémoire de recherche en éthique médicale sur la position du médecin dans l’acte euthanasique et Jean-Marie Gomas, l’un des fondateurs du mouvement des soins palliatifs, médecin généraliste, gériatre, enseignant, ancien responsable d’une Unité Douleurs chroniques et Soins palliatifs. Ils tous deux auteurs d’un livre intitulé, « Fin de vie : peut-on choisir sa mort ? Pour clarifier le débat citoyen. 

La soirée s’annonce intéressante, mais c’est sans compter sur la participation d’un « commando » d’activistes de l’association dite « pour le droit de mourir dans la dignité ». Après la présentation des intervenants, le public est invité à poser des questions. D’emblée, à tour de rôle, ils monopolisent la parole pour entraver le débat et imposer leurs conceptions sur la fin de vie à savoir la légalisation à tout prix de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté. Un médecin belge, généraliste devenu « mourologue » à plein-temps affirme sans ambages qu’il en a marre que la Belgique soit devenue « le mouroir de la France », alors que cette activité représente son fonds de commerce ! S’ensuivent des propos hostiles, virulents, intolérants, irrespectueux et consternants à l’endroit des conférenciers. L’euthanasie et le suicide médicalement assisté représentent, à leurs yeux libertariens, le seul « mourir moderne » qui vaille. 

Cette attitude « indigne » émanant de personnes qui exigent une mort « digne » a heurté le public qui est resté médusé face à une telle agressivité. Elle tranche avec les propos de Philippe Lohéac, délégué général de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) qui affirme : « Il faut qu’il y ait un accès universel aux soins palliatifs. Or aujourd’hui, il n’existe pas », regrette-t-il. Pourtant, d’après le premier article de la loi du 24 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, « toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ». Chacun peut donc être soulagé de ses douleurs physiques comme psychologiques, pour rester digne face à une maladie grave et/ou à la fin de vie (6).

Le geste létal est souvent assimilé par certains à une démarche compassionnelle, un geste d’amour. La dernière scène du film « Amour » de Michael Haneke avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva et Isabelle Huppert en constitue la parfaite illustration. Un film qui nous enferme dans la répétition de scènes à l’intérieur d’un appartement dont la teinte s’assombrit progressivement. L’exemple magistral d’une prise en soins palliatifs défaillante qui nous amène à l’inéluctable issue.

Gaz à tous les étages…

I’m a poor lonesome doctor…

 

 

______________

(1) https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-la-fin-de-vie-4/

(2) https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire_099_250308.pdf

(3) https://www.alliancevita.org/2021/04/bilan-de-leuthanasie-aux-pays-bas-de-2001-a-2020/

(4) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/01/fin-de-vie-ce-qui-est-percu-comme-une-opportunite-par-certains-devient-une-incitation-au-desespoir-pour-les-autres_6152451_3232.html?random=438913703

(5) https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/12/05/borello-l-homme-qui-fait-du-social-un-business_5392746_3234.html

(6) https://www.essentiel-sante-magazine.fr/sante/acces-aux-soins/soins-palliatifs-inegalites-acces-france

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