#mementomori

10/04/2024

Jacques Fabrizi

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« Souviens-toi que tu vas mourir » ! Cette formule du christianisme médiéval exprime la vanité de la vie terrestre. Elle se réfère à l’art de mourir, ou Ars moriendi, et induit une éthique du détachement et de l’ascèse*. L’épidémie de Covid-19 a mis en exergue la problématique de la mort et la fragilité de l’existence. « La mort, ça ne se prévoit pas. La mort, ça n’a pas de parole. Elle détruit toutes ses promesses. On pense qu’elle viendra plus tard, puis elle vient quand elle veut. »** « Selon Freud, alors qu’il est difficile de penser à sa propre mort, nous sommes susceptibles de penser et de nous représenter la mort des autres, même s’il s’agit d’une expérience douloureuse et déconcertante. »***

Vendredi 8 juillet 2022, selon les données de Santé publique France, depuis le début de l’épidémie, plus de 150 000 personnes sont mortes du Covid-19 à l’hôpital ou en établissement social et médico-social. Terrible bilan ! Dans ce contexte, l’Assurance maladie tient à rappeler aux médecins qu’ils peuvent bénéficier d’une rémunération forfaitaire lorsqu’ils rédigent un certificat de décès au domicile du patient. Ainsi, tous les médecins libéraux, conventionnés ou non et quelle que soit leur spécialité, peuvent établir des certificats de décès. Cependant, seules les périodes suivantes donnent droit à la rémunération forfaitaire de l’Assurance maladie fixée à 100 € :
• La nuit (entre 20 h et 8 h)
• Le samedi, le dimanche et les jours fériés de 8 h à 20 h
• La période de 8 h à 20 h le lundi lorsqu’il précède un jour férié, le vendredi et le samedi lorsqu’ils suivent un jour férié ;
• La période de 8 h à 20 h dans les zones déterminées comme étant « fragiles » en termes d’offre de soins par arrêté du directeur général de l’ARS : ce sont les zones en ZIP et en ZAC sur la carte du zonage.

L’usage intensif d’acronymes, on le constate, rend ce jargon, administratif à souhait, particulièrement abscons. Lorsque la rémunération de l’Assurance maladie n’est pas possible, il s’agit d’un certificat médical à tarif libre, et le praticien est rémunéré par la famille du défunt. À condition, toutefois, de ne pas être dans un désert médical et de pouvoir trouver un médecin qui accepte de se déplacer à domicile afin de remplir cette mission. Cette note de l’Assurance maladie renvoie au Décret no 2020-446 du 18 avril 2020, relatif à l’établissement du certificat de décès ; il détaille la liste des professionnels de santé habilités. Notons que les médecins retraités, sans activité, décidément fort sollicités en cette période, ne « peuvent délivrer un certificat qu’en cas d’impossibilité pour un médecin en activité de l’établir dans un délai raisonnable ; il doit, cependant, en faire la demande auprès du conseil départemental de l’ordre des médecins de son lieu de résidence ».**** Situation pour le moins ubuesque, mais qui reflète une triste réalité et qui laisse accroire l’idée que les médecins traitants n’assument plus leur mission. Après avoir accompagné un patient tout au long de son existence, il me paraît inconcevable de ne pas me déplacer à son chevet pour y constater son décès et, en pareille circonstance, apporter à ses proches un peu de réconfort et d’humanité. Perdre un être cher et ne pas pouvoir disposer, de manière simple et aisée, d’un certificat de décès, sésame indispensable pour l’obtention d’un permis d’inhumation ou de crémation, s’apparente pour la famille du défunt à une double peine.

Si, malgré tout, l’idée de mourir à domicile vous séduit, assurez-vous au préalable que votre lieu de résidence figure dans une des zones ci-dessus citées. Par ailleurs, afin de ne pas laisser à vos héritiers la charge de régler les honoraires médicaux, respectez un bon créneau horaire ou, à défaut, rendez-vous aux urgences pour y mourir, comme c’est habituellement le cas, sur un brancard… L’ex-ministre de la Santé et les responsables de l’Assurance maladie ne devaient sans doute plus avoir à l’esprit les paroles de la chanson de Georges Brassens :

Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez l’pleurer avec nous sur le coup de midi […]
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu’— mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre…*****

Dorénavant, après avoir réglé les honoraires du médecin, il y a tout lieu de penser que ce dernier ne sera plus convié.

I’m a poor lonesome doctor…

 

* https://fr.wikipedia.org/wiki/Memento_mori
** Wajdi Mouawad, Incendies, Actes Sud — Papiers, 2003
*** Franco De Masi, Penser sa propre mort, Contribution psychanalytique au problème de la caducité de la vie, Éditions d’Ithaque, 2010
**** https://www.ameli.fr/sites/default/files/Documents/686710/document/decret-2020-446-18-avril-2020.pdf
***** Georges Brassens, Les funérailles d’antan, 1960

« Souviens-toi que tu vas mourir » ! Cette formule du christianisme médiéval exprime la vanité de la vie terrestre. Elle se réfère à l’art de mourir, ou Ars moriendi, et induit une éthique du détachement et de l’ascèse*. L’épidémie de Covid-19 a mis en exergue la problématique de la mort et la fragilité de l’existence. « La mort, ça ne se prévoit pas. La mort, ça n’a pas de parole. Elle détruit toutes ses promesses. On pense qu’elle viendra plus tard, puis elle vient quand elle veut. »** « Selon Freud, alors qu’il est difficile de penser à sa propre mort, nous sommes susceptibles de penser et de nous représenter la mort des autres, même s’il s’agit d’une expérience douloureuse et déconcertante. »***

Vendredi 8 juillet 2022, selon les données de Santé publique France, depuis le début de l’épidémie, plus de 150 000 personnes sont mortes du Covid-19 à l’hôpital ou en établissement social et médico-social. Terrible bilan ! Dans ce contexte, l’Assurance maladie tient à rappeler aux médecins qu’ils peuvent bénéficier d’une rémunération forfaitaire lorsqu’ils rédigent un certificat de décès au domicile du patient. Ainsi, tous les médecins libéraux, conventionnés ou non et quelle que soit leur spécialité, peuvent établir des certificats de décès. Cependant, seules les périodes suivantes donnent droit à la rémunération forfaitaire de l’Assurance maladie fixée à 100 € :
• La nuit (entre 20 h et 8 h)
• Le samedi, le dimanche et les jours fériés de 8 h à 20 h
• La période de 8 h à 20 h le lundi lorsqu’il précède un jour férié, le vendredi et le samedi lorsqu’ils suivent un jour férié ;
• La période de 8 h à 20 h dans les zones déterminées comme étant « fragiles » en termes d’offre de soins par arrêté du directeur général de l’ARS : ce sont les zones en ZIP et en ZAC sur la carte du zonage.

L’usage intensif d’acronymes, on le constate, rend ce jargon, administratif à souhait, particulièrement abscons. Lorsque la rémunération de l’Assurance maladie n’est pas possible, il s’agit d’un certificat médical à tarif libre, et le praticien est rémunéré par la famille du défunt. À condition, toutefois, de ne pas être dans un désert médical et de pouvoir trouver un médecin qui accepte de se déplacer à domicile afin de remplir cette mission. Cette note de l’Assurance maladie renvoie au Décret no 2020-446 du 18 avril 2020, relatif à l’établissement du certificat de décès ; il détaille la liste des professionnels de santé habilités. Notons que les médecins retraités, sans activité, décidément fort sollicités en cette période, ne « peuvent délivrer un certificat qu’en cas d’impossibilité pour un médecin en activité de l’établir dans un délai raisonnable ; il doit, cependant, en faire la demande auprès du conseil départemental de l’ordre des médecins de son lieu de résidence ».**** Situation pour le moins ubuesque, mais qui reflète une triste réalité et qui laisse accroire l’idée que les médecins traitants n’assument plus leur mission. Après avoir accompagné un patient tout au long de son existence, il me paraît inconcevable de ne pas me déplacer à son chevet pour y constater son décès et, en pareille circonstance, apporter à ses proches un peu de réconfort et d’humanité. Perdre un être cher et ne pas pouvoir disposer, de manière simple et aisée, d’un certificat de décès, sésame indispensable pour l’obtention d’un permis d’inhumation ou de crémation, s’apparente pour la famille du défunt à une double peine.

Si, malgré tout, l’idée de mourir à domicile vous séduit, assurez-vous au préalable que votre lieu de résidence figure dans une des zones ci-dessus citées. Par ailleurs, afin de ne pas laisser à vos héritiers la charge de régler les honoraires médicaux, respectez un bon créneau horaire ou, à défaut, rendez-vous aux urgences pour y mourir, comme c’est habituellement le cas, sur un brancard… L’ex-ministre de la Santé et les responsables de l’Assurance maladie ne devaient sans doute plus avoir à l’esprit les paroles de la chanson de Georges Brassens :

Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez l’pleurer avec nous sur le coup de midi […]
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu’— mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre…*****

Dorénavant, après avoir réglé les honoraires du médecin, il y a tout lieu de penser que ce dernier ne sera plus convié.

I’m a poor lonesome doctor…

 

* https://fr.wikipedia.org/wiki/Memento_mori
** Wajdi Mouawad, Incendies, Actes Sud — Papiers, 2003
*** Franco De Masi, Penser sa propre mort, Contribution psychanalytique au problème de la caducité de la vie, Éditions d’Ithaque, 2010
**** https://www.ameli.fr/sites/default/files/Documents/686710/document/decret-2020-446-18-avril-2020.pdf
***** Georges Brassens, Les funérailles d’antan, 1960

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