#doute

24/03/2023

Jacques Fabrizi

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« Doute : du latin dubitare : « balancer », « hésiter ». État d’incertitude qui fait qu’on ne peut prendre une décision soit par manque de connaissance, soit par faiblesse psychologique (on parle alors d’aboulie, voire de « folie du doute »), soit volontairement. Le doute acquiert un sens philosophique avec l’école sceptique qui, considérant que la vérité, si elle existe, est inaccessible, recommande de suspendre son jugement (epochè) et de n’adhérer à aucune opinion afin d’être libre. Ce doute existentiel que l’on retrouve chez Montaigne devient méthodique chez Descartes. » (1)

Alors que les travaux de la convention citoyenne sur la fin de vie s’achèvent, le chef de l’État a évoqué, le 16 mars 2023, au cours d’un dîner auquel étaient conviées seize personnalités, dont six religieux ainsi que six médecins et anciens médecins, le « doute salvateur » qui l’assaille au moment d’évoquer une question particulièrement complexe philosophiquement : celle de la fin de vie. « Si les représentants des cultes ont tous exprimé, sans surprise, leur opposition à toute aide active à mourir, du grand-rabbin de France au recteur de la mosquée de Paris en passant par le président de la conférence des évêques, les positions ont été beaucoup plus partagées parmi les soignants. L’ancien ministre de la Santé Olivier Véran, le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) le Pr Jean-François Delfraissy et le Dr Denis Labayle se sont tous les trois prononcés en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir. À l’inverse, l’actuel ministre de la Santé François Braun, le Dr Jean Leonetti (auteur de la loi actuelle sur la fin de vie) et le médecin de soins palliatifs le Dr Sarah Halioui ont tous expliqué que l’euthanasie ne pouvait pas être considérée selon eux comme un acte de soins. » (2) 

La question s’avère, en effet, plus complexe qu’elle n’y paraît et ne peut se réduire à un choix binaire, à deux attitudes opposées, qui nous oblige à prendre position « pour ou contre l’euthanasie ou le suicide médical assisté ». Le doute gagne aussi certains membres de la convention citoyenne qui pensent que les débats ont été volontairement orientés par le profil des experts interrogés, trop souvent favorables à la légalisation de l’euthanasie, afin que les citoyens se prononcent en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir. Par contre, l’audition d’Erwan Le Morhedec, un avocat favorable au statu quo et au maintien de la législation actuelle, a été refusée par le conseil économique social et environnemental (CESE). D’autres pensent que les dés étaient pipés, dès le début, ne serait-ce que par la formulation de la question posée aux membres de la convention citoyenne sur la fin de vie qui ne laissait guère de doute : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits  ? » Existe-t-il une réponse parfaite à toutes les situations ?  Bien sûr que non  ! Qui pourrait prétendre le contraire  ? 

Chaque jour, dans la presse, opposants et partisans de la légalisation de l’aide active à mourir essayent de faire entendre leurs voix.

En réalité, ce débat occulte les difficultés d’accès aux soins palliatifs auxquelles se heurtent les patients dont l’état de santé en nécessite le recours. En matière de soins palliatifs, chacun sait que l’offre n’est pas répartie de manière harmonieuse sur tout le territoire et que, dans certaines régions, elle est quasiment inexistante. Par ailleurs, en France, la culture palliative peine à s’imposer. L’enseignement des soins palliatifs, dans le cadre de la formation initiale des étudiants en médecine, se limite à 12 heures. En cas de légalisation de l’euthanasie et du suicide médical assisté, ne faudra-t-il pas également envisager une formation spécifique au geste létal qui se fera au détriment du nombre, déjà restreint, d’heures allouées aux soins palliatifs  ? 

Don Pietro : « Non è difficile morire bene. Difficile è vivere bene. » (3)

I’m a poor lonesome doctor…

 

 

______________

Crédit photo : unsplash.fr

(1) www.philomag.com/lexique/doute#

(2) Fin de vie : Emmanuel Macron en plein doute, Journal international de médecine, Journal international de médecine, 16/03/2023

(3) Don Pietro : « Ce n’est pas difficile de bien mourir.  C’est difficile de bien vivre. » Aldo Fabrizi, Rome, ville ouverte, un film de Roberto Rossellini (1945)

« Doute : du latin dubitare : « balancer », « hésiter ». État d’incertitude qui fait qu’on ne peut prendre une décision soit par manque de connaissance, soit par faiblesse psychologique (on parle alors d’aboulie, voire de « folie du doute »), soit volontairement. Le doute acquiert un sens philosophique avec l’école sceptique qui, considérant que la vérité, si elle existe, est inaccessible, recommande de suspendre son jugement (epochè) et de n’adhérer à aucune opinion afin d’être libre. Ce doute existentiel que l’on retrouve chez Montaigne devient méthodique chez Descartes. » (1)

Alors que les travaux de la convention citoyenne sur la fin de vie s’achèvent, le chef de l’État a évoqué, le 16 mars 2023, au cours d’un dîner auquel étaient conviées seize personnalités, dont six religieux ainsi que six médecins et anciens médecins, le « doute salvateur » qui l’assaille au moment d’évoquer une question particulièrement complexe philosophiquement : celle de la fin de vie. « Si les représentants des cultes ont tous exprimé, sans surprise, leur opposition à toute aide active à mourir, du grand-rabbin de France au recteur de la mosquée de Paris en passant par le président de la conférence des évêques, les positions ont été beaucoup plus partagées parmi les soignants. L’ancien ministre de la Santé Olivier Véran, le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) le Pr Jean-François Delfraissy et le Dr Denis Labayle se sont tous les trois prononcés en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir. À l’inverse, l’actuel ministre de la Santé François Braun, le Dr Jean Leonetti (auteur de la loi actuelle sur la fin de vie) et le médecin de soins palliatifs le Dr Sarah Halioui ont tous expliqué que l’euthanasie ne pouvait pas être considérée selon eux comme un acte de soins. » (2) 

La question s’avère, en effet, plus complexe qu’elle n’y paraît et ne peut se réduire à un choix binaire, à deux attitudes opposées, qui nous oblige à prendre position « pour ou contre l’euthanasie ou le suicide médical assisté ». Le doute gagne aussi certains membres de la convention citoyenne qui pensent que les débats ont été volontairement orientés par le profil des experts interrogés, trop souvent favorables à la légalisation de l’euthanasie, afin que les citoyens se prononcent en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir. Par contre, l’audition d’Erwan Le Morhedec, un avocat favorable au statu quo et au maintien de la législation actuelle, a été refusée par le conseil économique social et environnemental (CESE). D’autres pensent que les dés étaient pipés, dès le début, ne serait-ce que par la formulation de la question posée aux membres de la convention citoyenne sur la fin de vie qui ne laissait guère de doute : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits  ? » Existe-t-il une réponse parfaite à toutes les situations ?  Bien sûr que non  ! Qui pourrait prétendre le contraire  ? 

Chaque jour, dans la presse, opposants et partisans de la légalisation de l’aide active à mourir essayent de faire entendre leurs voix.

En réalité, ce débat occulte les difficultés d’accès aux soins palliatifs auxquelles se heurtent les patients dont l’état de santé en nécessite le recours. En matière de soins palliatifs, chacun sait que l’offre n’est pas répartie de manière harmonieuse sur tout le territoire et que, dans certaines régions, elle est quasiment inexistante. Par ailleurs, en France, la culture palliative peine à s’imposer. L’enseignement des soins palliatifs, dans le cadre de la formation initiale des étudiants en médecine, se limite à 12 heures. En cas de légalisation de l’euthanasie et du suicide médical assisté, ne faudra-t-il pas également envisager une formation spécifique au geste létal qui se fera au détriment du nombre, déjà restreint, d’heures allouées aux soins palliatifs  ? 

Don Pietro : « Non è difficile morire bene. Difficile è vivere bene. » (3)

I’m a poor lonesome doctor…

 

 

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Crédit photo : unsplash.fr

(1) www.philomag.com/lexique/doute#

(2) Fin de vie : Emmanuel Macron en plein doute, Journal international de médecine, Journal international de médecine, 16/03/2023

(3) Don Pietro : « Ce n’est pas difficile de bien mourir.  C’est difficile de bien vivre. » Aldo Fabrizi, Rome, ville ouverte, un film de Roberto Rossellini (1945)

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