#lementirvrai

23/01/2024

Jacques Fabrizi

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Derrière chaque crise se cache une opportunité. C’est en tout cas ce que voulait croire Emmanuel Macron dans cette période inédite, qui voyait la France confinée pour lutter contre la propagation du coronavirus. Attelé à la gestion quotidienne de cette épreuve, le chef de l’État pensait néanmoins déjà au jour d’après. Et « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant », avait-il promis lors de son allocution, lundi 16 mars 2020. Ce soir-là, il avait répété à deux reprises, dans une formule énigmatique, qu’il saurait en tirer « toutes les conséquences, toutes les conséquences » en indiquant simplement que « beaucoup de certitudes, de convictions (…) ser [aient] remises en cause ».

Ce soir-là, le président avait répété six fois : « Nous sommes en guerre », ce qui ne laissait guère de doute quant au parallèle avec une situation comme notre pays n’en avait plus connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et que cette crise serait riche d’expériences et serait le catalyseur de changements dans notre organisation sociale. Du moins c’était l’analyse qu’en faisaient un grand nombre d’observateurs. 

« Le président considérait qu’il fallait réfléchir à des changements de paradigme, notamment en matière économique, analysait la porte-parole du gouvernement de l’époque, Sibeth Ndiaye. Nul doute que cette crise révélait des dysfonctionnements, en particulier quant à nos chaînes de production. La dépendance de certaines de nos filières vis-à-vis de la Chine se révélait préoccupante et que cet aspect représentait « un enjeu de souveraineté », déclarait-on à l’Élysée.

Cet avis semblait partagé et il y avait urgence à faire revenir sur le continent européen, et singulièrement en France, une production de tout ce qui paraissait être essentiel pour la vie de la nation. 

« Nous irons jusqu’à la nationalisation de certains fleurons industriels », avait même précisé Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, alors que des entreprises comme Air France étaient au bord de la faillite. « L’État paiera », avait lui-même martelé Emmanuel Macron, lundi 16 mars 2020 après avoir déjà assuré dans sa précédente allocution, le 12 mars 2020, que les entreprises et les salariés français seraient soutenus par la puissance publique, « quoi qu’il en coûte ».

L’on s’attendait alors à un changement complet de paradigme, mais l’on demeurait dans le flou présidentiel. Certes, paraissait-il trop tôt pour dire précisément les secteurs concernés et dans quelle mesure ? Cependant, ce qui était certain, c’était que nous ne pouvions plus continuer comme avant. Cette crise interrogeait manifestement la mondialisation et il semblait nécessaire de ne plus reproduire les mêmes erreurs et de se préparer à la prochaine crise. 

Quel constat aujourd’hui ? Que sont devenues les promesses présidentielles et de l’exécutif ? 

Le bilan n’est pas flatteur. Il suffira pour illustrer la réponse à cette question, de citer un seul exemple dans un domaine qui, au début de l’épidémie de Covid-19, avait défrayé la chronique : celui des masques faciaux chirurgicaux et de leur pénurie. La ministre des Solidarités et de la Santé et le directeur général de la Santé de l’époque furent incriminés dans la mauvaise gestion des stocks stratégiques de masques, mais tous deux, sans vergogne, se défaussèrent de toute responsabilité avec des arguments pour le moins alambiqués.

Dans la région de Longwy, aux confins du Luxembourg et de la Belgique, un chef d’entreprise a souhaité répondre à l’appel du président de la République et de son ministre de l’économie en créant l’entreprise « Family Concept » destinée à produire de masques faciaux chirurgicaux. La production a débuté en juillet 2020 sur trois postes avec trois chaînes de fabrication afin d’honorer la seule commande effectuée par l’État de 25 millions de masques avec l’impératif que la livraison soit effectuée avant la fin de l’année 2020.

L’entreprise Family Concept s’est d’emblée engagée à respecter la norme française des 4 M : Matières premières, Main-d’œuvre, Machines, Manufacture. À ce jour, Family Concept est un des seuls producteurs français à respecter ce critère. 

Dès 2021, Family Concept a étendu son offre de marché au secteur médical et a remporté de nombreux appels d’offres dans plusieurs régions (Grand Est, Hauts-de-France, Normandie et Occitanie). Elle fournit également des masques pour la plupart des services de dialyse et des sites dépendants de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Elle livre ainsi plus de 350 sites en France. 

De prime abord, la situation ainsi décrite apparaît idyllique, sauf qu’elle cache une cruelle réalité : les non-commandes de l’État français lui-même. 

  • Le ministère des Armées, de 2020 à ce jour, a passé commande de 45 millions de masques, mais… en totalité au marché asiatique. 
  • En 2023, Santé publique France a lancé un appel d’offres de 300 millions de masques pour le renouvellement partiel des stocks stratégiques. Ce marché conséquent aurait pu soutenir la filière des producteurs de masques français. Malheureusement, les marchés ont été attribués à des entreprises multinationales dont certaines ne produisent plus en France depuis près de deux ans et n’auraient, selon certaines sources, même pas respecté les délais de livraison.

Depuis l’appel du président de la République à changer de paradigme et à sortir de la dépendance de certaines de nos filières vis-à-vis de la Chine qui représentait à ses yeux « un enjeu de souveraineté », dans le domaine de la fabrication de masques faciaux chirurgicaux, trente entreprises se sont créées. À ce jour, dix-sept ont déjà mis la clé sous la porte et quatre seulement continuent leur production. L’entreprise Family Concept, quant à elle, ne vend que 12 millions de masques par an alors que ses capacités de production sont bien supérieures. 

Les décisions de nos dirigeants, souvent réduites à des effets d’annonces, rejoignent parfois la fiction comme dans « le mentir-vrai » d’Aragon ou dans « L’Art du mensonge politique » attribué à Jonathan Swift, mais écrit en 1733 par John Arbuthnot. « Le mensonge, selon Vladimir Jankélévitch, n’est point le fait matériel de dire la vérité ou la non-vérité, mais le fait de dire pour tromper. » **

Toute analogie avec des hommes politiques existants ne saurait en aucun cas être le fruit du hasard.

I’m a poor lonesome doctor…

______________
*Louis Aragon, Le mentir-vrai, Éditions Gallimard, 1980. 
**Vladimir Jankélévitch, Le mensonge, Éditions Confluences, 1945. 

Derrière chaque crise se cache une opportunité. C’est en tout cas ce que voulait croire Emmanuel Macron dans cette période inédite, qui voyait la France confinée pour lutter contre la propagation du coronavirus. Attelé à la gestion quotidienne de cette épreuve, le chef de l’État pensait néanmoins déjà au jour d’après. Et « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant », avait-il promis lors de son allocution, lundi 16 mars 2020. Ce soir-là, il avait répété à deux reprises, dans une formule énigmatique, qu’il saurait en tirer « toutes les conséquences, toutes les conséquences » en indiquant simplement que « beaucoup de certitudes, de convictions (…) ser [aient] remises en cause ».

Ce soir-là, le président avait répété six fois : « Nous sommes en guerre », ce qui ne laissait guère de doute quant au parallèle avec une situation comme notre pays n’en avait plus connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et que cette crise serait riche d’expériences et serait le catalyseur de changements dans notre organisation sociale. Du moins c’était l’analyse qu’en faisaient un grand nombre d’observateurs. 

« Le président considérait qu’il fallait réfléchir à des changements de paradigme, notamment en matière économique, analysait la porte-parole du gouvernement de l’époque, Sibeth Ndiaye. Nul doute que cette crise révélait des dysfonctionnements, en particulier quant à nos chaînes de production. La dépendance de certaines de nos filières vis-à-vis de la Chine se révélait préoccupante et que cet aspect représentait « un enjeu de souveraineté », déclarait-on à l’Élysée.

Cet avis semblait partagé et il y avait urgence à faire revenir sur le continent européen, et singulièrement en France, une production de tout ce qui paraissait être essentiel pour la vie de la nation. 

« Nous irons jusqu’à la nationalisation de certains fleurons industriels », avait même précisé Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, alors que des entreprises comme Air France étaient au bord de la faillite. « L’État paiera », avait lui-même martelé Emmanuel Macron, lundi 16 mars 2020 après avoir déjà assuré dans sa précédente allocution, le 12 mars 2020, que les entreprises et les salariés français seraient soutenus par la puissance publique, « quoi qu’il en coûte ».

L’on s’attendait alors à un changement complet de paradigme, mais l’on demeurait dans le flou présidentiel. Certes, paraissait-il trop tôt pour dire précisément les secteurs concernés et dans quelle mesure ? Cependant, ce qui était certain, c’était que nous ne pouvions plus continuer comme avant. Cette crise interrogeait manifestement la mondialisation et il semblait nécessaire de ne plus reproduire les mêmes erreurs et de se préparer à la prochaine crise. 

Quel constat aujourd’hui ? Que sont devenues les promesses présidentielles et de l’exécutif ? 

Le bilan n’est pas flatteur. Il suffira pour illustrer la réponse à cette question, de citer un seul exemple dans un domaine qui, au début de l’épidémie de Covid-19, avait défrayé la chronique : celui des masques faciaux chirurgicaux et de leur pénurie. La ministre des Solidarités et de la Santé et le directeur général de la Santé de l’époque furent incriminés dans la mauvaise gestion des stocks stratégiques de masques, mais tous deux, sans vergogne, se défaussèrent de toute responsabilité avec des arguments pour le moins alambiqués.

Dans la région de Longwy, aux confins du Luxembourg et de la Belgique, un chef d’entreprise a souhaité répondre à l’appel du président de la République et de son ministre de l’économie en créant l’entreprise « Family Concept » destinée à produire de masques faciaux chirurgicaux. La production a débuté en juillet 2020 sur trois postes avec trois chaînes de fabrication afin d’honorer la seule commande effectuée par l’État de 25 millions de masques avec l’impératif que la livraison soit effectuée avant la fin de l’année 2020.

L’entreprise Family Concept s’est d’emblée engagée à respecter la norme française des 4 M : Matières premières, Main-d’œuvre, Machines, Manufacture. À ce jour, Family Concept est un des seuls producteurs français à respecter ce critère. 

Dès 2021, Family Concept a étendu son offre de marché au secteur médical et a remporté de nombreux appels d’offres dans plusieurs régions (Grand Est, Hauts-de-France, Normandie et Occitanie). Elle fournit également des masques pour la plupart des services de dialyse et des sites dépendants de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Elle livre ainsi plus de 350 sites en France. 

De prime abord, la situation ainsi décrite apparaît idyllique, sauf qu’elle cache une cruelle réalité : les non-commandes de l’État français lui-même. 

  • Le ministère des Armées, de 2020 à ce jour, a passé commande de 45 millions de masques, mais… en totalité au marché asiatique. 
  • En 2023, Santé publique France a lancé un appel d’offres de 300 millions de masques pour le renouvellement partiel des stocks stratégiques. Ce marché conséquent aurait pu soutenir la filière des producteurs de masques français. Malheureusement, les marchés ont été attribués à des entreprises multinationales dont certaines ne produisent plus en France depuis près de deux ans et n’auraient, selon certaines sources, même pas respecté les délais de livraison.

Depuis l’appel du président de la République à changer de paradigme et à sortir de la dépendance de certaines de nos filières vis-à-vis de la Chine qui représentait à ses yeux « un enjeu de souveraineté », dans le domaine de la fabrication de masques faciaux chirurgicaux, trente entreprises se sont créées. À ce jour, dix-sept ont déjà mis la clé sous la porte et quatre seulement continuent leur production. L’entreprise Family Concept, quant à elle, ne vend que 12 millions de masques par an alors que ses capacités de production sont bien supérieures. 

Les décisions de nos dirigeants, souvent réduites à des effets d’annonces, rejoignent parfois la fiction comme dans « le mentir-vrai » d’Aragon ou dans « L’Art du mensonge politique » attribué à Jonathan Swift, mais écrit en 1733 par John Arbuthnot. « Le mensonge, selon Vladimir Jankélévitch, n’est point le fait matériel de dire la vérité ou la non-vérité, mais le fait de dire pour tromper. » **

Toute analogie avec des hommes politiques existants ne saurait en aucun cas être le fruit du hasard.

I’m a poor lonesome doctor…

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*Louis Aragon, Le mentir-vrai, Éditions Gallimard, 1980. 
**Vladimir Jankélévitch, Le mensonge, Éditions Confluences, 1945. 
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